top of page
  • TWELVE

Amazon Marketplace et contrefaçon de marque

CJUE, 2 avril 2020, aff. C-567/18

Dans un arrêt du 2 avril 2020, la Cour de justice a jugé que le fait pour Amazon d’entreposer et d’expédier des produits pour le compte des vendeurs de son Marketplace ne constitue pas un usage de marque.

L’entreprise allemande Coty Germany distribue dans le cadre d’une licence, des parfums sous une marque de l’Union européenne « Davidoff ». Après avoir constaté en 2014 qu’une vendeuse proposait à la vente sans autorisation des parfums revêtus de cette marque dans la partie « Amazon-Marketplace » du site allemand amazon.de, Coty Germany a obtenu la cessation de ces agissements et un engagement de la vendeuse assorti d’une clause pénale.


Cependant, en récupérant les stocks contrefaisants, il s’est avéré qu’un autre vendeur avait mis en vente certains flacons. Mais après que les sociétés Amazon se sont déclarées incapables de retrouver l’identité du vendeur, la société Coty Germany a recherché leur responsabilité pour atteinte à la marque licenciée.

Les circonstances à l’origine de cette procédure étaient particulières mais soulèvent la question des vendeurs multiples de mêmes produits contrefaisants. La logique est la même que dans l’écosystème des plateformes de vidéos d’utilisateurs (e.g. Youtube, Dailymotion), de diffusion d’annonces publicitaires en ligne (e.g. Google Adwords) ou de plateformes d’annonces ou de ventes aux enchères en ligne : à défaut de pouvoir facilement et efficacement identifier et poursuivre chaque contrefacteur individuel, comment traiter le problème à la source en responsabilisant les plateformes ?

Amazon vend des produits sur son site mais permet également à tout vendeur de recourir à la plateforme « Amazon-Marketplace » et notamment son programme « Expédié par Amazon », dans le cadre duquel Amazon stocke les produits et les fait expédier.


C’est dans ces conditions que la Cour fédérale de justice allemande a demandé à la CJUE si le fait d’entreposer des produits pour le compte d’un vendeur tiers, sans avoir connaissance de leur caractère contrevenant, constituait un acte de contrefaçon.


La CJUE considère qu’en l’espèce il ne s’agit pas d’un « usage à titre de marque », parce que pour ces produits, l’intervention d’Amazon n’avait pas consisté à « offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe » au sens de l’article 9.3.b. du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne (v. article 10.3.b. de la directive 2015/2436 et nouv. art. L.713-3-1 CPI).


La Cour de justice retient en effet que les sociétés Amazon « n’ont fait qu’entreposer les produits concernés, sans les avoir offerts elles-mêmes à la vente ou les avoir mis dans le commerce et (…) qu’elles n’entendaient pas davantage offrir ces produits à la vente ou les mettre dans le commerce » (considérant 34). La Cour précise que selon sa jurisprudence, « faire usage » d’une marque (notion qui n’est pas définie dans les textes) « implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage » (considérant 37). En d’autres termes, le rôle des sociétés Amazon n’était pas suffisamment actif pour considérer qu’elles faisaient véritablement usage de la marque.

Le raisonnement interpelle puisqu’il donne une importance centrale à la bonne ou mauvaise foi, en tenant compte de l’intention de commercialisation, alors qu’il est généralement admis que l’élément moral est indifférent à l’action civile en contrefaçon.

Le vocabulaire fait également écho aux critères du commerce électronique où l’intermédiaire technique (principalement l’hébergeur) qui n’a qu’un rôle passif, ne peut être responsable de contrefaçon tant qu’il n’a pas été informé. C’est ainsi que la Cour de justice rappelle sa jurisprudence selon laquelle « le fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même usage dudit signe » (considérant 43). C’est l’occasion pour la Cour d’indiquer qu’à défaut d’être responsable de l’usage d’une marque, « un opérateur économique [qui] a permis à un autre opérateur de faire un usage de la marque » peut être poursuivi sur le fondement de la directive e-commerce 2000/31 ou de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 49).

Ainsi, dès lors que les sociétés Amazon seraient considérées comme des hébergeurs ayant reçu notification d’un contenu manifestement illicite, leur responsabilité pourrait être engagée à défaut de réaction (article 14 de la directive e-commerce et en droit français, article 6.I.2 de la LCEN).

De même, sans fonder cette demande sur la responsabilité de l’intermédiaire au titre de la contrefaçon, un titulaire de droit peut parfaitement demander à un juge français de prononcer des mesures à l’encontre d’un opérateur dont les services sont utilisés par un tiers pour atteinte à un droit de propriété intellectuelle (article 11 de la directive 2004/48 et en droit français, notamment article L.716-4-6 du Code de la propriété intellectuelle).

Les faits jugés par les juridictions du fond, et notamment la description et preuve des conditions de commercialisation et d’entreposage n’ont pas été examinés par la Cour de justice qui s’est contentée de constater que les sociétés Amazon n’avaient pas elles-mêmes offert les produits à la vente, ni eu l’intention de le faire. La société Coty Germany avait pourtant fait valoir que les sociétés Amazon n’avaient pas qu’un rôle passif puisqu’elles proposaient de véritables services d’assistance à l’offre de vente, notamment de promotion, à la vente et la mise sur le marché (considérants 19 et s.).


La Cour de justice précise que la solution aurait été différente et ainsi la responsabilité des sociétés Amazon aurait été retenue si les parfums avaient été détenus, non pour le compte de vendeur tiers, mais pour son propre compte. Plus surprenant, mais plus protecteur pour les titulaires de droits, la Cour considère que cela serait également le cas si le vendeur tiers n’était pas identifiable (considérant 49).


On peut également se demander si une action pénale n’aurait pas pu prospérer en l’espèce, notamment sur le fondement du recel de contrefaçon qui consiste dans le fait de « détenir ou transmettre un chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ». Encore faut-il, là encore, établir que le receleur avait la connaissance des faits litigieux.


120 vues
bottom of page