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Droit voisin des éditeurs de presse : ce que dit vraiment la loi

Dernière mise à jour : 15 avr. 2020

par Emmanuel EMILE-ZOLA-PLACE


Depuis le 24 octobre, les éditeurs et agences de presse ont un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’utilisation, totale ou partielle de leurs contenus, par un service en ligne. Ce droit est dit « voisin » du droit d’auteur car il protège non les auteurs mais ceux qui participent à la diffusion de leurs œuvres.

Dès septembre, Google a déclaré ne pas avoir l’intention de payer pour la reprise d’un extrait de publication de presse, et que les images (vignettes) et extraits de texte (snippets) seraient supprimés des résultats de recherche de son moteur. Désormais, seuls seraient affichés les titres avec un lien renvoyant vers l’article sur le site de l’éditeur.


Cette déclaration a provoqué l’ire d’une presse unanime, suivie du monde politique, qui l’accuse de bafouer le droit d’auteur, d’exploiter les subtilités de la loi et d’en détourner l’esprit.


La controverse laisse le juriste perplexe. La loi, dont l’esprit est éclairé par les débats parlementaires, autorise l’utilisation des liens et snippets sans contrepartie (à l’inverse des vignettes qui restent soumises à autorisation). A fortiori, les moteurs de recherche ou les plateformes qui choisissent de supprimer les snippets et vignettes ne font qu’appliquer la lettre du texte. C’est le cas de Google mais également de Bing, Qwant, Lilo et Facebook.


Nul ne peut sérieusement contester que le « droit voisin » des éditeurs et agences de presse répond à une revendication légitime : assurer un meilleur partage de la valeur entre les entreprises de presse qui investissent dans la production de contenus et les services en ligne qui les réutilisent en générant d’importants bénéfices commerciaux.

La question est de savoir quelles utilisations requièrent une autorisation. C’est le cas des plateformes ou réseaux sociaux dès lors qu’elles reproduisent et fournissent, tout ou partie d’une publication. Il en est de même pour les « web crawlers » (robots d’indexation) ou agrégateurs qui indexent, détournent et archivent des publications sur leurs propres pages et serveurs pour les proposer sous forme de panoramas de presse. Pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), tel n’est pas le cas « du référencement ou de l’indexation effectués par des moteurs de recherche comme Google »[1], tant qu’ils se contentent d’indexer et de rediriger gratuitement vers les sites des éditeurs.

Non seulement la Cour de justice de l’Union européenne juge, en matière de droit d’auteur, que la création et la fourniture d’un lien hypertexte ne sont pas soumis à autorisation, mais le CSPLA rappelle également que les moteurs de recherche sont « un rouage essentiel de la diffusion de l’information et du pluralisme [et] des acteurs indispensables à la consolidation de l’économie de la presse en ce qu’ils assurent au public l’accès aux contenus de presse et renvoient, sans commercialisation, les lecteurs vers les sites des éditeurs de presse». Le législateur a donc écarté l’idée de soumettre à rémunération l’agrégation et la fourniture de liens d’actualités, en dépit de l’enrichissement indirect qui en résulte pour le moteur.

S’agissant de l’affichage des vignettes et snippets, les éditeurs de presse, études chiffrées à l’appui, considèrent que ces liens enrichis retiennent l’internaute dans l’écosystème du moteur de recherche et que le défaut de conversion publicitaire sur leur propre site leur cause un important manque à gagner. Les moteurs de recherche considèrent au contraire qu’ils contribuent à valoriser les articles et qu’ils incitent l’internaute à se rendre sur le site de l’éditeur de presse. Au cœur de cette controverse, la monétisation.


En mars 2019, le parlement européen a tranché en adoptant un amendement qui autorise, sans aucune contrepartie, « l’utilisation de mots isolés » ou « de très courts extraits d’une publication de presse ». Exception que le législateur français a transposé dans la loi sans définir la notion de « très courts extraits » autorisés. Au juge donc de déterminer, dans une casuistique impossible, si la lecture du snippet se substitue à celle de l’article, et de trouver, au-delà du nombre de mots, le juste équilibre entre le snippet suffisamment accrocheur pour rediriger vers le site de l’éditeur (autorisé) et le snippet si riche qu’il retient l’internaute dans l’écosystème du moteur (interdit).

En supprimant snippets et vignettes, Google purge le débat : provocation pour les uns, application stricte de la loi pour les autres. Cette décision nous rappelle que le meilleur moyen de respecter le droit d’auteur, c’est encore de ne pas exploiter les contenus protégés.

Elle a néanmoins surpris jusqu’au législateur français qui s’enorgueillit d’être le premier des Etats de l’UE à avoir transposé la directive. L’analyse des législations allemande et espagnole qui ont précédé la directive, aurait permis d’anticiper cette déconvenue aux retentissements plus politiques que juridiques.

En Espagne, Google News a été supprimé après l’introduction d’une licence légale au profit des éditeurs de presse, c’est-à-dire une autorisation globale compensée par une rémunération obligatoire. De la même manière que la SACEM ne peut pas forcer un utilisateur à diffuser de la musique pour collecter des redevances, les éditeurs ne peuvent pas imposer aux plateformes de reproduire leurs contenus pour espérer une compensation.


En Allemagne, le législateur a mis en place en 2013 un dispositif proche de celui de la loi française. Devant les éditeurs qui réclamaient de 6 à 11% des recettes publicitaires, Google a supprimé snippets et vignettes des résultats de recherche, entraînant ainsi une chute de 40% du trafic en provenance du moteur général et 80% en provenance du moteur d’actualités. Les éditeurs de presse allemands ont déposé une plainte pour abus de position dominante devant l’autorité de la concurrence allemande. Celle-ci a été rejetée, de même que l’action civile devant le Tribunal fédéral de Berlin qui a déclaré que, bien que détenant 90% du marché, le modèle de Google restait "gagnant-gagnant".

En France, les éditeurs ont annoncé saisir l’autorité de la concurrence d’une plainte dont l’issue est incertaine et peu encline à favoriser des négociations apaisées.


Au final, c’est moins le droit d’auteur qui en sort abîmé que l’autorité de la loi dont les injonctions contradictoires sont le reflet de la volonté du législateur de concillier des intérêts catégoriels opposés. Or une loi peu contraignante et qui vide un droit de sa substance est une loi inutile.

Il appartient à présent aux intéressés de redoubler d’intelligence pour inventer des partenariats croisés. Par exemple en développant des prestations de « fact-checking » comme Mediapart et d’autres l’ont fait avec Facebook, ou en aidant les éditeurs à lutter contre le développement de plateformes illicites, qui s’enrichissent de manière indue en reproduisant des contenus sans autorisation.


Maître Emmanuel EMILE-ZOLA-PLACE est docteur en droit, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, avocat associé au sein du cabinet TWELVE qui conseille des ayants droit comme des éditeurs de services en ligne.



Article publié sur le site Atlantico.fr


[1] Laurence Franceschini, Rapport de la mission de réflexion sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, CSPLA, juillet 2016.

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