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La chronologie des médias à l’épreuve du confinement

Dernière mise à jour : 16 avr. 2020

Alors que la sortie en salle des Longs Métrages et la chronologie des médias n’en finissent plus d’être au cœur des débats depuis l’essor des services de vidéos à la demande par abonnement, la crise sanitaire et économique actuelle a donné une nouvelle tournure à ces discussions et ne manquera pas de bouleverser, bien au-delà de la période de confinement que nous vivons aujourd’hui, l’industrie du cinéma et les règles juridiques et économiques qui gouvernent le secteur.


Un film cinématographique reste-t-il un film cinématographique s’il n’est jamais diffusé sur grand écran ? Comment envisager son financement (et ses recettes) s’il ne sort jamais en salles ?


Les salles de cinéma sont la clé de voute de la chronologie des médias. Prévue par le Code du cinéma et de l’image animée, la chronologie des médias organise la temporalité et l’ordre de diffusion des films par modes d’exploitation. La sortie en salles constitue à cet égard l’acte de naissance de la vie du film. Le producteur ne pourra recourir aux autres modes d’exploitation qu’au terme de délais prédéfinis. Il ne pourra notamment pas distribuer le film sur support DVD ou sous forme de VoD à l’acte avant l’écoulement d’un délai de 4 mois suivant sa sortie en salles.


Dans son principe, la chronologie des médias vise à garantir à chaque mode d’exploitation une fenêtre d’exclusivité, et ainsi à préserver les différents maillons de la chaîne de la concurrence des autres maillons. Dans l’ordre : salle de cinéma, éditeur de DVD et plateforme VOD, chaîne payante de cinéma, chaînes gratuites, plateforme de streaming payantes, plateforme de streaming gratuit.


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Le secteur s’était récemment entendu pour réaménager cette chronologie sous la forme d’un accord récemment étendu (arrêté du 25 janvier 2019 étendant l’accord sur la chronologie des médias du 21 décembre 2018) qui prévoyait notamment un calendrier adapté au succès du film.



Mais depuis le 15 mars 2020 et la fermeture de l’ensemble des salles pour une durée toujours indéterminée, l’industrie du cinéma doit faire sans son premier maillon. Décidée dans le but d’endiguer la propagation du nouveau coronavirus, cette mise à l’arrêt forcée a eu pour conséquence de remettre en question les principes cardinaux de la distribution cinématographique.


En réalité, deux types d’exploitation sont mises à l’épreuve : (i) celle des films qui étaient en salles à la date du 14 mars 2020 et, (ii) celle des films qui devaient sortir en salles au moment du confinement et dans les semaines suivantes.


En l’absence de mesure dérogatoire, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui est touchée. Le producteur doit renoncer à la première fenêtre de visibilité, généralement déterminante pour le reste de la vie du film ; les distributeurs, maillon essentiel de financement de la production, voient leurs recettes brutalement mises à l’arrêt. Du point de vue des spectateurs enfin, toujours avide de nouveautés, l’accès aux œuvres est désormais restreint aux chaînes et plateformes de VOD et de streaming depuis leurs écrans domestiques.



Dérogation à la chronologie des médias pour les films en salles au 14 mars 2020.


Aux termes de l’article 17 de la loi du 23 mars 2020 n°2020-290 dite d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, le président du CNC s’est vu conféré le pouvoir d’accorder une dérogation au délai de 4 mois entre la sortie en salles et l’exploitation DVD ou VoD à l’acte - comme le prévoit l’article L. 231-1 du Code du cinéma et de l’image animée - pour les films qui faisaient encore l’objet d’une exploitation en salles au 14 mars 2020.


Cette mesure n’avait pas été accueillie favorablement par tous les acteurs de la distribution. La Fédération nationale des cinémas français en première ligne s’était montrée hostile en exprimant notamment sa crainte de la « déshabitude de la salle de cinéma ».


Mais le CNC n’a pas tardé à mettre en œuvre cette disposition. Au terme d’une étude casuistique, ce sont 44 films qui ont été autorisés à bénéficier des délais dérogatoires de sortie en DVD, mais surtout en VoD à l’acte.


L’idée naturellement est de compenser en partie les pertes liées à l’exploitation en salles par cette exploitation anticipée « à la maison ».



Dérogation optionnelle et exceptionnelle à la chronologie des médias pour les films dont la sortie en salles était prévue à compter du 15 mars 2020.


Pour les films dont la sortie était prévue à compter du 15 mars et pendant toute la durée du confinement, la fermeture des salles serait a priori synonyme d’absence totale d’exploitation. Deux options dérogatoires s’offrent aujourd’hui au producteur.


1/ Un report de la sortie en salles : Cette hypothèse se heurte néanmoins au fait qu’un report massif risque d’engorger les sorties en salles lors de leur réouverture. Bien évidemment, le producteur reste libre de décider unilatéralement du report de la sortie du film en salles. Tel est le cas de grosses productions étrangères comme Mourir peut attendre (MGM) ou encore Mulan (Disney) initialement attendues au mois d’avril 2020.


2/ Une sortie sur un autre canal de distribution ? L’hypothèse a priori opportune, se heurtait au risque pour le producteur de perdre le bénéfice des aides financières du CNC. L’article 211-5 du Règlement général des aides financières du CNC prévoit en effet que « les œuvres cinématographiques de longue durée éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres destinées à une première exploitation en salles de spectacles cinématographiques ». A défaut de première exploitation en salle, le CNC est en principe fondé à réclamer la restitution des aides.


C’est pour encourager cette seconde voie que le CNC a décidé que ces films pourraient, de manière tout à fait exceptionnelle, faire l’objet d’une première exploitation par VoD sans que les aides financières à la production n’aient besoin d’être restituées (Formulaire de demande de diffusion d’une œuvre - Covid-19).


Pour le producteur qui aurait choisi cette option, reste encore à déterminer les suites de la vie du film et les choses ne seront pas simples compte-tenu du caractère inhabituel de cette option d’exploitation. On pense notamment aux questionnements récents d’institutions comme les César, le Festival de Cannes ou les Oscars sur l’admission en compétition de films qui ne sont jamais sortis en salles.



L’avenir de la chronologie des médias en question.


Malgré son objectif premier qui est d’« assurer la vitalité du cinéma français » (Accord sur la chronologie des médias du 21 déc. 2018), la chronologie des médias est régulièrement remise en question, notamment au regard de la montée en puissance des services de vidéo à la demande par abonnement et de leurs rôles de plus en plus prépondérants dans le financement d’œuvres originales.


Ces derniers, (Netflix, Amazon Prime, Disney+), sortiront renforcés de cette crise. La télévision elle-même qui bénéficie pourtant d’un audimat exceptionnel en cette période de confinement et d’un regain d’intérêt ne parvient pas à profiter de la situation et à capitaliser sur ces résultats d’audience compte tenu de la chute du marché publicitaire liée à la baisse massive de la consommation.

En tout état de cause, le CNC a d’ores et déjà tenu à rappeler que ces dispositifs exceptionnels n’étaient pas de nature à remettre en cause ce système. La chronologie des médias tiendra-t-elle bon à l’issue de cette crise ? Pourrait-elle en sortir renforcée afin de soutenir les salles de cinéma, maillon le plus directement affecté ou risque-t-elle au contraire d’être refondue en raison des nouveaux comportements que cette crise pourrait révéler ?

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